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4 juillet 2010 7 04 /07 /juillet /2010 20:31

 

Elle a la plastique d’un sac de jute. Un rectangle sur deux pattes orné d’une tête toute frisée. Elle peut sortir d’un dessin animé surtout lorsqu’elle s’habille de jaune et de violet. Mais même les couleurs glissent sur elle et ne ressort que le gris de sa mine rarement réjouie.  

 

Sa féminité n’apparaît pas plus dans sa voix d’adjudant chef. Elle ne parle, elle ordonne. Jamais d’humour, jamais de bonjour. Des ordres et des invectives. Si seulement elle était chef, on lui pardonnerait. Mais elle n’est que collègue, collègue de tout le monde, du moyen comme du médiocre. Elle aspire aux sommets et pense petit. Elle empile les heures supplémentaires et les remarques fielleuses. Elle exhale la supériorité de la femme seule.

 

Lorsque les bureaux se vident, elle s’accroche à son rapport, maugréant contre les mères chargées de famille.

A 19 heures, elle furète auprès des derniers réfractaires à l’appel familial, les ultimes conseils de la journée.

Enfin seule, elle s’accorde un sanglot juste avant que les femmes de ménage ne désemplissent les corbeilles. Puis elle s’emmitoufle dans son lourd manteau rectangulaire, descend l’escalier de service et pousse laborieusement la porte de sortie.

 

Elle glisse le long des vitrines à la recherche d’une idée surgelée pour son plateau repas. Les phares des bus allongent l’ombre de sa silhouette un instant puis la relâche comme claque un élastique. Elle s’étire et se retire de lumières en réverbères jusqu’à son deux pièces cubique.

 

Elle pénètre dans son antre sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les souvenirs enfouis dans les placards du couloir. Elle allume le stroboscope rectangulaire trônant au milieu du salon et s’hypnotise du malheur de ses voisins. Là voilà réchauffée, énervée…fâchée…réconfortée. Elle s’offre un verre d’eau bien fraîche, la télécommande fumante encore en main. Toute cette misère éventrée par l’œil cathodique la comble de sentiments. Elle boit à grandes gorgées cette vie de l’autre côté. Elle s’en inspire, s’en gargarise, s’en écœure jusqu’à plus soif.

 

Alors elle s'endort, repue, souriant enfin à la journée suivante. 

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